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Hommage de l’Académie de Marseille
Un grand peintre et un extraordinaire témoin de son temps

L’Académie de Marseille honore celui qui fut aussi un sportif complet (cycliste, nageur, rameur, yachtman, motard, gymnaste) et aussi un aviateur de l’âge héroïque.

Article écrit par Jean CHELINI de l’académie de Marseille dans le journal Le « Méridional - La France » du Dimanche 4 décembre 1977.

L’Académie de Marseille vient d’inaugurer cette semaine une exposition rétrospective de l’oeuvre d’Edmond Astruc, le doyen de ses membres jusqu’à son décès, il y a quelques mois. Ces dernières années j’avais appris à le connaître et à l’apprécier et j’ai voulu à cette occasion redire aux méridionaux l’apport riche et original qu’Edmond Astruc a fourni à la peinture provençale. Retracer la vie de cet homme, c’est montrer combien l’idée que l’on se fait de l’artiste séparé du monde et vivant dans un univers particulier, loin de l’activité des engagements est fausse. Edmond Astruc a démontré magnifiquement comment on peut être à la fois un artiste et un homme d’action, sans cesser d’être un époux et un père de famille affectueux et attentif.

L’apprentissage de Marseille

Edmond Astruc dont l’extraordinaire longévité et la vitalité ont frappé tous ceux qui l’approchaient, aura raté de peu de devenir centenaire, puisqu’il était né le 4 novembre 1878 au Panier, rue Guintran, au coeur du plus vieux et plus pittoresque quartier de Marseille. Son père, un tanneur-maroquinier fort à l’aise, assura à ses trois enfants - Edmond avait un frère et une sœur - une enfance choyée et une bonne éducation bourgeoise. Edmond, après avoir fréquenté le petit lycée, devint élève au lycée Thiers. Il y passa plus de temps à dessiner qu’à apprendre le latin et le grec, passionné déjà pour les arts. Vers 1895, l’atelier familial s’était transporté au quartier Saint-Lazare, rue Lessort et son père permit à Edmond de travailler à mi-temps à la tannerie et de suivre l’après-midi les cours des Beaux-Arts, où enseignaient des maîtres comme Guindon. Edmond se partagea entre le métier paternel, la peinture et le sport.

Un grand sportif

Edmond Astruc avait pour le sport un attrait instinctif. Le sport cycliste connaissait un extraordinaire essort. Les premiers vélodromes étaient ouverts. Les champions marseillais de l’époque, qui s’illustraient sur la piste de Larchevêque, allaient aussi montrer leurs talents sur les pistes en terre de Lambesc, de Pertuis et de Marignane. Edmond Astruc était de ceux-là. Il avait la chance de pouvoir s’entraîner avec des « pros » de l’époque, les frères Reboul, Molinier, mais lui restait amateur. Il courait en « gentleman » avec Vlasto, Bouvier, Raoul Pollak et Rodocanachi et c’était le meilleur de tous. Vers 1900, il remporta au Parc Borely, le premier grand prix cycliste derrière tricycle à pétrole. Il m’avait dit il y a quelques mois qu’il ne se souvenait plus exactement de la date mais qu’il se rappelait avoir pédalé sur un vélo américain Cleveland, plus perfectionné que ses premières machines Rover et Ballis-Thomas !

Un indiscutable champion

En compagnie de ses camarades Bideleux, Gabriel Dard, les frères Brodeur, d’Harry Baur, Edmond Astruc fréquentait le gymnase de la rue Bergère et pratiquait aussi l’aviron. Sous les couleurs de la société nautique de Marseille, il remporta de nombreux trophées. Il fut champion de la Méditerranée en yole de mer à Asnières, ses coéquipiers étaient Chabat, Brodeur et Galizzia, lui-même était chef de nage. Il courut en outrigger et se classa avec Bailly deuxième aux internationales de Mâcon. Mais l’exploit le plus étonnant de l’époque, c’est celui d’avoir rallié Bandol à l’aviron d’une seule traite en partant du garage de la Nautique, installé en face de la rue Radeau. Gabriel Dard, père de l’international de football, faisait partie de cette fameuse équipée, entreprise de nuit et terminée avant midi. Edmond Astruc participait aussi aux régates à la voile sur un monotype Sébille. Il nageait comme un poisson et aurait bien pris part aux courses à la nage, mais les compétitions de natation n’existaient pas encore dans les eaux méridionales !

Vélo et gymnastique l’hiver, sports nautiques l’été occupaient largement ses loisirs lorsque la moto le conquit. C’était au retour de son service militaire. Il acheta une Peugeot puis se lança dans les compétitions sur Magnat-Debon. Une chute terrible lui coûta la victoire dans un Marseille-Nice et un an d’inactivité. Lorsqu’il enfourcha une moto à nouveau, ce fut pour gravir le Ventoux jusqu’au sommet. Une véritable « première » effectuée à trois, en compagnie de Vache et de Nicolas. L’exploit avait été réalisé sur une 7 CV Peugeot, qui permettait déjà d’atteindre des vitesses de 80 km/h. C’est ce type de moteur qu’il allait employer pour s’élancer pour la première fois dans les airs.

Un pionnier du ciel

Ce passionné de l’effort qui s’était jusqu’alors partagé entre plusieurs activités, sans jamais abandonner la peinture, va brusquement quitter ses pinceaux et consacrer tout son temps à l’aviation, alors à ses débuts et dont l’attrait s’exerçait fortement sur toute sa génération. Au temps des frères Wright, alors qu’à Marseille Henri Favre - qu’Edmond Astruc retrouva plus tard à l’académie - faisait ses premiers essais. Astruc décida de construire son propre avion, à Septèmes chez le charron du village. Les quatre ailes étaient entoilées et indépendantes. Le train d’attérissage était un tricycle en bois, comme l’hélice qu’il avait taillé dans un tronc de peuplier Tortuosa, dont le fil sinueux permettait d’obtenir plus aisément les courbes nécessaires ! Il réussit à voler à Calas en 1909.

L’année suivante, il vola à Miramas sur un appareil conçu par les frères Blanc et construit par les Forges et Chantiers de la Méditerranée. Il réussit quelques belles lignes droites à 20 mètre d’altitude en revenant au sol à plein moteur ! Il compléta sa formation à l’école des pilotes de Pas-des-Lanciers, puis à Lyon-Brom, sous la direction de Cheuret, chef pilote de l’école militaire d’apprentissage, lointaine ancêtre de notre école de l’Air ! Il vole sur des Farman, sur le premier avion militaire Henriot-Pommier. En 1913, Henri Fabre l’engage et lui fait piloter son prototype d’hydravion. Pilote d’essai des hydravions Fabre, Astruc met au point un glisseur sans ailes, avec un moteur Gnome rotatif de 120 chevaux. Il triomphe au meeting de Monaco à Pâques en 1914, à 60 km/h de moyenne. Grâce à ce même appareil, il réussit l’exploit de remonter le Rhône depuis Port-Saint_louis jusqu’à Aix-les-Bains, auquel la télévision française a consacré une émission dans la série « Les Coulisses de l’Exploit ».

Désormais, Astruc n’abandonnera jamais plus l’aviation, maigré un un grave accident qui l’immobilisera un an, à la veille de la guerre de 1914. Pilote d’essai militaire pendant tout le conflit, il reprit du service comme ingénieur technique chez Pothez à Evreux en 1940. Mais il avait pratiqué d’autres activités sportives qu’il conserva jusqu’à un âge très avancé.

A 82 ans, il passait encore un mois en mer, quittant Marseille en catamaran, pour se rendre jusqu’à la Tour Fondue, près du fort de Brégançon, en cabotage artistique ! Il avait à bord son matériel de peintre et il s’arrêtait là où le paysage l’inspirait.

Peintre de la Provence

Cet homme si habile de ses mains, nous a laissé une œuvre peinte abondante et de grande qualité, qui constitue la partie la plus durable de son héritage artistique. L’aisance que lui avait donné sa famille, les loisirs dont il disposait, lui permirent de se consacrer à son art, sans avoir le soucis du quotidien. La longévité de sa carrière lui a donné le temps d’affiner sans cesse un talent présent dès l’origine.

La vocation d’Edmond Astruc a d’abord été celle du dessin. Le goût des formes ne l’a jamais quitté. Astruc a toujours soigné le dessin et il entreprenait beaucoup d’études et d’esquisses avant d’entamer la composition du tableau. Amoureux de la nature, il peignait toujours sur le motif : « On ne saura pas mieux faire que la nature, il ne faut pas tricher avec la nature », aimait-il à répéter. Son goût pour les paysages naturels ne fera que se renforcer avec le temps ; vieillissant, il s’étonnait : « Je découvre maintenant des motifs que je ne voyais pas avant ».

Peintre de la Provence, Edmond Astruc s’est très rapidement imposé dans le milieu des peintres méridionaux par quelques expositions retentissantes chez Detaille dans sa galerie de la Canebière, ou chez Moullot, au coin de la rue Paradis.

En 1956, une première rétrospective regroupe chez Moullot une centaine de toiles, de gouaches, de dessins sous le titre : « 50 ans de peinture », qui montre sa réelle maîtrise et confirme le succès que d’autres expositions avaient recueilli à Paris et en Province. Plusieurs musées nationaux, dont le musée Cantini à Marseille, font l’acquisition de ses toiles. Élu à l’Académie de Marseille en 1936, dans la classe des beaux-arts, il obtint de nombreuses récompenses pour ses tableaux et fut considéré à la fin de sa vie, comme l’un des maîtres incontestés de l’école provençale contemporaine.

Un témoin de son temps

L’œuvre d’Edmond Astruc offre une grande variété de sujets et de palette. Lors de la rétrospective de 1956, le public avait beaucoup admiré une grande composition La marchande d’eau de mer, représentant une scène très animée et très colorée de la vie du port de Marseille vers 1900. Son atelier du Roucas-Blanc, rue Emile Duployé, sur qui veille jalousement sa femme née Julia Schmidlein, qu’il avait épousée en 1926, et sa fille Laurence Guy-Raulin, constitue un véritable musée de l’œuvre peinte du grand maître marseillais. On y retrouve un admirable auto-portrait du peintre vers la cinquantaine, de très beaux paysages marins ou campagnards, une vue saisissante des bâtiments de la mairie de Marseille, au milieu d’innombrables scènes de la vie marseillaise, dont il a su rendre l’âme et l’esprit. Intime d’une Provence où il était né, familier de Marseille où il a toujours vécu, Edmond Astruc a non seulement été un extraordinaire peintre de la lumière méridionale, mais aussi un authentique témoin de son temps.