Depuis 1906, Edmond Astruc expose avec succès à Marseille d’abord, puis à Avignon et à Paris. Mais par la suite, il n’arrive pas à terminer une grande toile représentant des poissonnières sur le Vieux Port de Marseille. Ayant appris à cette même époque le premier vol réussi par Wilbur Wright, il s’enthousiasme pour cette nouvelle aventure.
Cet amour de la peinture et de l’aviation doit avoir une raison. Les artistes ont toujours désiré s’élever au dessus du terre à terre. Sans parler des dessins admirables de l’homme-oiseau de Léonard de Vincy, les premiers aviateurs Farman, Delagrange étaient des élèves de l’école des Beaux-Arts de Paris.
La guerre de 14-18 terminée, après une intense activité de pilote d’essais sur avions et hydravions, Edmond Astruc, partage sa vie entre Marseille et sa petite ferme de La Favière près de Bormes (Var), où il décide de se faire « peintre-paysan » et de « cultiver la peinture et la vigne » comme il disait.
Cette époque de ma vie passée dans l’aviation avait rajeuni et épuré ma vision. Je revenais à la clarté et à la lumineuse atmosphère de mes premières années de peintre où à l’école des Beaux-Arts, le directeur et professeur de peinture Alphonse Moutte disait en regardant ma peinture : « voilà le peintre du printemps », ou quand je cherchais l’atmosphère enfumée de l’atelier : « le peintre du brouillard ».
Astruc a aussi été influencé par la première exposition de Monticelli au Cercle Artistique, influence subie aussi par d’autres jeunes peintres marseillais comme Carrera, Bichebé, Agnelli, Mathieu Verdihan à sa première époque. Laissons-lui encore la parole :
J’avais réalisé mes toiles d’Allauch en tons très chauds dans une pâte souvent un peu lourde avec moins de lumière et d’atmosphère. L’aviation, le contact direct avec les grands espaces du ciel et de la mer, les tons plus froids de la nature m’avaient dégagé de cette manière trop cuisinée à mon avis.
Ci-dessous un extrait d’un article d’André R.-Barutaud paru dans le journal « Le Méridional » du dimanche 1er janvier 1956 :
La première fois que j’ai rencontré Edmond Astruc, c’est en 1952. L’amour de l’art et je ne sais quel sentiment de curiosité m’avaient poussé vers la salle Moullot, où ce vétéran de l’École Provençale présentait « 55 ans de peinture ».
C’était une étonnante rétrospective groupant plus de cent peintures, gouaches, dessins de toutes les époques. Son œuvre maîtresse était « La marchande d’eau de mer », une imposante composition représentant une scène du Vieux-Port il y a cinquante ans, si vivante et si typiquement marseillaise qu’elle mérite sa place dans l’un de nos musées.
Ce tableau a une histoire. Edmond Astruc l’a abandonné pour ne le terminer que plusieurs années plus tard. « A l’époque où je l’entrepris, devait-il dire, les frères Wright venaient de réussir leur premier vol. J’étais torturé par l’aviation. » Une vocation irrésistible allait transformer le cours de sa vie.
Laissons à nouveau Edmond Astruc s’exprimer lui-même :
Ayant commencé depuis le 4 Novembre mes 78 ans j’ai l’impression que jamais ma vision de la beauté n’a été aussi grande et variée et je découvre là ou autrefois je ne voyais qu’un sujet banal des beautés que je m’efforce de sortir de leur cachette pour les faire voir dans mes peintures à tout le monde.
Il y a deux mois environ, j’étais en train de faire la place des Capucines ; un prêtre pressé, sa valise à la main, dans la direction de la gare s’est arrêté pile devant mon tableau et m’a dit : « Excusez-moi, mais permettez-moi de vous féliciter ; sans votre tableau je n’aurai jamais vu la beauté de cette place devant laquelle je passe souvent ». Je lui ai répondu : « c’est le rôle du peintre ».